Plutôt Hitler que manger des légumes verts

Marine le Pen, finalement, pourquoi pas ?

Telle est l’étrange conclusion de plusieurs années de débats acharnés sur les valeurs de la République. Face aux périls qui nous menacent, la lutte contre le racisme, les éoliennes, l’écriture inclusive et les cantines végétariennes, les gens raisonnables vont bien devoir se résoudre au fascisme.

Voici Raphaël Enthoven, le porte étendard médiatique des valeurs de pondération et de débat respectueux, qui annonce envisager de voter Le Pen. Oh la mort dans l’âme, et seulement s’il s’y trouvait contraint, mais tout de même. Suivons un instant son argument. Il commence en bon philosophe par une situation hypothétique : un second tour Mélenchon – Le Pen. Que faire ? Il réfute bien entendu cette hypothèse, mais refuse courageusement pour autant d’ « esquiver » la question. Le cœur de la discussion devient alors d’établir l’équivalence des deux populistes en matière de démocratie, de relations internationales, d’Europe et de recours au complotisme – la candidate d’extrême-droite se montrant plus décente sur ce dernier point. Les points de divergence sont les suivants : Mélenchon mettrait en place une dictature sous couvert de République populaire, ce que Le Pen tenterait peut être mais échouerait, ou aurait la coquetterie de ne pas essayer. Par ailleurs sur le fond, avec Mélenchon « la liberté académique serait définitivement sacrifiée à la pensée décoloniale, et que, des professeurs au ministre, l’#islamogauchisme serait majoritaire à l’université (s’il ne l’est déjà). » Le Pen pour sa part « nommerait probablement un des généraux séditieux à la défense, Didier Raoult à la santé, fermerait les frontières et mettrait le chaos en Europe« . Ceci posé, à 19h59 ce serait donc Le Pen car « plutôt Trump que Chavez » .

Que dire ? Beaucoup. D’abord que l’égalité supposée est fallacieuse, au point d’être malhonnête. On voit mal Jean-Luc Mélenchon démarrer une carrière de dictateur, et ses alliés de gauche en Europe n’ont pas remis en cause la démocratie ou la liberté de parole. On ne peut pas en dire autant de Marine Le Pen, dont les alliés en Pologne, Hongrie ou… Russie restreignent effectivement l’exercice de la démocratie et les libertés académiques. Il n’est pas inutile non plus de comparer les politiques des quelques maires LFI et FN, l’autoritarisme se trouvant plutôt très à droite. Ensuite que la pesée est surréaliste : selon les propres termes d’Enthoven, contre Mélenchon: le décolonialisme uniquement. Contre Le Pen: les généraux séditieux c’est à dire l’appel à une guerre civile menée par l’armée contre les citoyens musulmans, les arrestations arbitraires, la fermeture des frontières. Ce qui va horrifier Enthoven et le pousser à choisir entre deux monstres, c’est la peur du décolonialisme dans les universités.

Après coup, Raphaël Enthoven se fendra d’un nouveau fil Twitter rappelant que ce n’est pas en diabolisant l’extrême-droite qu’on empêche les gens de voter pour eux. C’est peu convainquant dans la mesure où ça semble avoir fonctionné à la sortie de la guerre, et où par ailleurs c’est exactement son entreprise contre Mélenchon. Suit un article dans l’Express qui corrige le tir : il a commis une erreur logique en juxtaposant un dilemme tragique (Mélenchon ou Le Pen ?) et une logique du moindre mal (plutôt une Peste, que l’autre) alors que ces deux régimes de pensée sont incompatibles : la terminologie du moindre mal est inopérante face à un dilemme de cette nature. Il faut donc s’abstenir. Ce qui est heureux parce que sinon il choisissait la peste brune.

Mais tout ceci n’est fondamentalement qu’un habillage autour d’un faux dilemme que s’impose Enthoven. Sur le fil, à 19h59, il choisirait Le Pen. Mais il nous le dit à un an de l’élection, sans aucune contrainte. L’ensemble de cette séquence est donc construit pour aboutir à un seul point : il est possible de voter le Pen. Il n’y a pas d’interdit sur ce vote, et c’est la seule information qui demeurera.

On peut rester surpris par le critère retenu pour justifier le choix in fine :  plutôt le risque de guerre civile que celui des études décoloniales. Mais une autre grande figure de la pensée, Elisabeth Badinter, nous disait la même chose il y’a dix ans : « en dehors de Marine Le Pen, plus personne ne défend la laïcité ». Elle continue cette semaine à nous alerter sur le fait que notre civilisation est en danger. C’est évidemment absurde sur le fond, le FN étant sans aucun doute le grand parti soutenant le plus les mouvements chrétiens opposés à la laïcité. Mais ne faisons pas mine de ne pas comprendre que décolonialisme, laïcité ou civilisation, c’est d’immigrés qu’on parle ici. Face à l’offensive des islamistes s’est construit une riposte « républicaine », qui est entrée à son tour dans une radicalisation délétère.

Une fois établie cette grille de lecture, c’est tout un ensemble de thèmes qui entrent en hystérie dans le discours d’intellectuels bon teint qu’on avait la veille au soir quittés modérés. C’est d’abord l’anti-racisme, dont on croyait jusqu’à peu qu’il faisait consensus et qui se retrouve présenté comme un nouveau fascisme. Le geste des footballeurs de poser un genou en terre pour soutenir les victimes est dénoncé comme une atteinte à la France. Puis toutes les luttes pour l’égalité et une société accueillante. L’écriture inclusive, recherche malheureuse d’abréviations pas trop laides déchaîne des tempêtes d’indignation disproportionnées. Les recherches sur le genre, le racisme, quoique très minoritaires, sont qualifiées par la ministre en charge Frédérique Vidal  d’islamo-gauchisme qui gangrène l’université et qu’elle fantasme comme une position hégémonique. Dès lors tout fait ventre, des ateliers vélos entre femmes aux subventions aux associations de planeur et à une semaine sans viande dans une cantine scolaire. Si Jean-Luc Mélenchon est plus repoussant que Marine Le Pen, les khmers verts ne sont pas plus acceptables.

On ne peut impunément désigner un seul mal absolu. Si l’islamisme est le monstre essentiel avec lequel toute association est impure, alors l’Islam qui participe du même univers est incompatible avec notre monde vivant. Et dès lors tout ce qui lutte contre les forces de mort possède nécessairement en son cœur secret un souffle vital. A l’heure des choix, donc, Marine Le Pen.

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